Au sortir de mes études en institut biblique, j’avais comme bagage trois années d’étude du grec et de l’hébreu. Certes, ce n’est pas avec trois ans que l’on sait lire la Bible de manière courante dans les langues originales. Mais pendant tout mon ministère, jusqu’à aujourd’hui encore, j’ai utilisé le grec et l’hébreu pour mes préparations d’études bibliques et de prédications.
C’est un réel plus, mais en même temps c’est assez dangereux. En être conscient est un pas dans la bonne direction pour l’utilisation des langues originales.
Pour illustrer le propos (comparaison n’est pas raison, mais ça aide quand même!), on pourrait imaginer que l’on fait des fouilles archéologiques sur le texte biblique. Les archéologues utilisent des pinceaux pour enlever délicatement les couches qui recouvrent l’objet convoité. Au sortir d’un institut, j’ai l’impression que l’outil que l’on a en mains pour nos « fouilles » ressemble plutôt à une grosse pelle: on ne fait pas dans la dentelle et on risque de faire des dégâts. Pour continuer le parallèle, je crois que ceux qui n’ont aucune formation dans les langues originales et qui se lancent dans leur utilisation (via les numéros Strong dans la Bible Online, par exemple), eux, n’ont même pas une pelle, c’est plutôt un bulldozer. On peut imaginer le regard des vrais archéologues avec leur petit pinceau en main quand ils voient arriver les apprentis avec leur pelle, ou pire, avec leur bulldozer.
Ceci pour dire deux choses pour la plupart d’entre nous:
- Il faut beaucoup d’humilité quand on a ces outils entre les mains. Il faut réaliser que l’on ne maîtrise pas complètement.
- Il ne faut pas, sur cette base, jeter l’outil. Cela doit être plutôt une motivation pour progresser. Passer du bulldozer à la pelle, et de la pelle au pinceau (en passant peut-être par le balai?). Ils sont trop nombreux ceux qui entrent dans le ministère pastoral et qui laissent tomber assez vite l’outil des langues originales. C’est vraiment dommage. Tout le monde est apprenti avant de passer maître.
Après 25 ans de prédication et d’utilisation (d’essai d’utilisation, pour être exact) des langues originales, je ne prétends pas encore être devenu un maître, loin de là. Disons que je suis un apprenti éclairé (en suis-je arrivé au gros balai?). Et je poursuis ma route en continuant à utiliser, et en même temps à apprendre à utiliser. Je vous renvoie à la bibliographie en fin de cet article pour vous aider à progresser dans cette voie.
Pour éviter de « tout casser », mais pour quand même profiter des outils que l’on a, je suggère quelques réflexions – elles me sont inspirées de mes lectures sur le sujet:
Si vous vous limitez aux numéros Strong, c’est déjà très bien. Cela vous permet d’une part de découvrir quel mot original est employé et d’autre part de découvrir les autres sens d’un mot original.
Réels avantages:
1. On peut voir, lorsque l’on compare deux textes, si ce qui est traduit en français par un mot repris dans les deux textes correspond bien au même mot original, ou s’il y a quelques nuances (= les deux textes qui rendent le même mot en français n’utilisent pas le même mot original).Dans le même ordre d’idée, l’on peut faire une recherche – en utilisant la concordance dans un logiciel biblique – mais cette fois, non pas en recherchant un mot en français, mais un numéro Strong (donc, in fine, un mot en langue originale) – ce qui permet de trouver les textes qui utilisent réellement ce même mot./!\ MAIS un numéro Strong ne renvoie pas vers toutes les utilisations d’une racine. Il renvoie uniquement vers un nom commun, ou vers un adjectif ou vers un verbe, ou…
C’est déjà très bien, mais il faut en être conscient. Sur ce point, je vous renvoie à l’article « Pourquoi j’ai abandonné la Bible Online au profit de Logos Bible »/!\ MAIS, en même temps, il s’agit de faire attention, parfois l’auteur utilise deux mots grecs différents pour exprimer la même pensée. Solution: Toujours vérifier dans toutes les traductions possibles pour voir si certains traducteurs (les vrais professionnels!) relèvent ces nuances.On peut voir si un mot sur lequel on veut appuyer une réflexion est bien dans le texte original. Si l’on médite un texte à partir d’une version non littérale, c’est-à-dire si l’on a choisi une version dans laquelle les traducteurs souhaitent rendre le sens du texte et non être le plus littéral possible (voir ici l’article intéressant sur les deux types de traductions), on risque de faire tout un développement sur un mot que l’auteur original n’utilise pas. Dans une traduction qui vise le sens, la traduction est souvent un texte « expansé » par rapport à l’original, le traducteur écrit parfois une phrase complète pour donner tout son sens à deux mots. Et donc on risque de dire ce que l’auteur ne dit pas
2. On peut voir l’étymologie et les sens possibles du mot, et donc découvrir quelles auraient pu être les autres traductions./!\ MAIS, et c’est sans doute le point le plus dangereux:Utiliser l’étymologie n’a aucun sens si l’auteur utilise le mot sans s’y référer. Pour comprendre ce point: quand vous parlez, vous utilisez des mots. Connaissez-vous l’étymologie de chaque mot (y faites-vous sciemment référence)? Moi pas. Quand on sait que parfois (souvent?) l’origine d’un mot n’a plus rien à voir avec son utilisation actuelle, si quelqu’un s’amusait à répéter ce que vous avez dit en se basant sur l’étymologie des mots, cela ne rendrait absolument pas votre pensée. Quand on joue avec l’étymologie d’un mot original, on risque souvent d’aller là où le texte ne va pas. C’est une erreur courante chez les utilisateurs de bulldozers et de pelles, et mea culpa, j’y suis tombé moi aussi!Ceci dit, l’étymologie peut avoir son utilité. Tout n’est donc pas à rejeter là non plus. Par exemple, grâce à l’étymologie, on peut comprendre la construction d’un verbe, et son sens. Un exemple: Dans le Notre Père, la traduction « ne nous soumets pas à la tentation » (Matth 6.13) a été révisée dans une version catholique récente, et avec raison parce que l’idée n’a jamais été de soumettre, mais bien de placer dans. Et là la construction verbale est utile: il s’agit du verbe grec EISPHERÔ composé de EIS (jusque dans) et PHERÔ (porter). « Ne nous induis pas en tentation » est donc préférable. L’idée intéressante liée à cette étymologie est que la tentation est considérée comme un lieu où l’on peut être conduit.b. L’autre danger est de proposer une traduction du texte qui n’a rien à voir avec la pensée de l’auteur. D’emblée, je le signale: Dans mes prédications, j’aime proposer une traduction personnelle, parfois un peu décalée dans le choix des mots, dans l’expansion des idées. Mais je le fais en m’appuyant sur l’étude approfondie du texte, sur les différentes traductions, etc. Cet exercice se fait donc en fin de parcours et non en début d’étude du texte. Ceci dit: L’exercice, s’il me semble plus qu’intéressant (c’est un vrai plus dans une prédication, j’en suis convaincu), est très périlleux (et donc dangereux). Il s’agit donc de présenter la version personnelle avec beaucoup de bémols (et souvent pas mal d’humour aussi). Je dis souvent quelque chose comme: « il ne s’agit que d’une lecture personnelle, merci de ne pas me lapider après le culte« .
Je vous renvoie également à l’article « Etudier la Bible et approcher les langues originales avec Bible Online et Logos Bible » (qui reprend une vidéo d’utilisation concrète de l’utilisation des n° Strong avec les logiciels Bible Online et Logos Bible)
Je vous recommande les lectures suivantes:
- Jean-Calude MARGOT, « Traduire sans trahir » (Editions L’Age D’Homme), 389p.
- Sylvain ROMEROSWSKI, « Les sciences du langage et l’étude de la Bible » (Editions Excelsis), 624p.
- D.A. CARSON, « Exegetical Fallacies » (Baker Academic), 160p.
Une réflexion sur « Avoir recours aux langues originales dans son étude biblique ? »